2 October 2012, Jean-Louis PERRIER, Mouvement.net
Review (fr)
La Ruhr mise à jour
Virage transdisciplinaire à la Triennale de la Ruhr, pilotée par Heiner Goebbels. Traversée en trois jours de ses monuments industriels, parfaitement habités par Robert Lepage ou Lemi Ponifasio, Michal Rovner ou Heiner Goebbels.
When The Mountain Changed Its Clothing « Pourquoi est-il mal de faire ce qui est interdit ? » interroge, comme en écho à Prométhée, une claire voix enfantine depuis la salle des turbines de la Jahrhunderthalle à Bochum, à l’autre extrémité de la Ruhr. Suivons When The Mountain Changed Its Clothing, « Une pièce sur les changements politiques à travers lesquels sont passés les Slovènes, et les changements biographiques de jeunes filles qui deviennent femmes » nous dira Heiner Goebbels, metteur en scène et compositeur discrètement partageur (Brahms, Schönberg, Karmina Silec...). La phrase-titre est traduite d’un chant traditionnel slovène, et les « montagnes » qui changent leur vêture ont forme humaine, promptes à chausser des bottes de pluie à la fonte des neiges. Les quarante jeunes filles de Carmina Slovenica manifestent avec fougue l’éveil du printemps (signalons, dans le registre des « confrontations » que Laurent Chétouane présentait simultanément son Sacre du printemps à la Triennale), passant de la masse sombre d’un groupe aveugle, à des individualités aux couleurs éclatantes. L’enfance est abandonnée comme peluche au pas de la porte, laquelle est éventrée par des doigts de fée prompts à filer l’avenir. Le chœur ne disparaît que pour réapparaître, dans un répertoire d’allers-retours avec le pays natal, passant par un hymne patriotique titiste avant de se propulser jusque dans l’Inde ancienne. Le vaste monde est à portée de chant, rien ne saurait arrêter la poussée de sève. Heiner Goebbels ne fait que la retenir en tableaux moins narratifs que thématiques, visiblement subjugué par les jeunes filles, leur puissance vocale, l’élan de leurs corps. Il se confronte à lui-même en se citant (Die Wiederholung – la Répétition, 1995) en citant Robbe-Grillet (« A quoi rêvent les petites filles ? De couteaux et de sang ! »). Toute musique porte son propre écho, comme toute phrase et tout geste sa résonance. Une inquiétude légère se mêle à l’allégresse, le nouveau monde n’est pas que symphonie, l’hiver ne manquera pas de revenir, seront-elles, seront-nous, prêts à l’affronter ?
on: When the Mountain changed its clothing (Music Theatre)