27 November 2024, Anne Ibos-Augé, Diapason
Review (fr)

Avec “Maison de rendez-vous”, Heiner Goebbels livre son « carnet imaginaire »

à la Philharmonie de Paris

[…]Elle est au contraire devenue nouvelle « expérience » : chez Goebbels, l’acte compositionnel comme sa réception sont affaires d’expérience et, mieux encore, d’expérience collective unissant musiciens et auditeurs. Portée, prolongée par l’orchestre, cette réminiscence revit ce soir par-delà les crachements des rouleaux de cire invitant passé et présent en un émouvant jeu de réponses.

Boucles, réservoirs, formules

C’est d’ailleurs Boulez et un fragment de Répons qui ouvrent le bal du souvenir et le premier chapitre (Stein Schere Papier) du quadriptyque. Suivront Immer den gleichen Stein (Toujours la même pierre) et Under Construction (En construction), trois pièces intimement liées au compositeur, qui donnent le ton de son processus d’écriture : hommage-souvenir (d’une session d’enregistrement de Répons) mêlée d’emprunts (au groupe de rock allemand Cassiber, à une cantate de Bach) ; référence au poète Heiner Müller, au texte souligné, prolongé parfois symboliquement (le mot « nichts » s’y perd dans le silence) ; expérience personnelle (de bruits de chantier) influant l’imaginaire – et l’écriture. Aux boucles de texte correspondent des boucles instrumentales, aux réservoirs de mots prenant des allures de litanie répondent des formules musicales obstinées, au chaos de la ville se marie à un orchestre bruitiste.

Les trois autres chapitres (Grain de la voix, Wax and violence [Cire et violence], When Words Gone [Lorsque les mots ont disparu]) jouent, de même, à croiser les esthétiques de cette œuvre-monde-mosaïque, le matériau enregistré et diffusé sur scène anticipant, provoquant, façonnant les gestes musicaux : un violon solo dialogue ainsi avec un chant oriental, l’accordéon allonge de sa résonance une fin de phrase, le santour se marie à la guitare.

Univers mouvant

La variété des archives sonores, collectées au gré des voyages du compositeur, dicte la multiplicité de leurs augmentations musicales : un poème mystique méditatif se ponctue d’impulsions d’accordéon et de pizzicatos ; des nappes de cordes soutiennent une prière chantée en allemand par des enfants ; la litanie d’un jeune chanteur de Namibie s’accompagne d’une basse électrique, l’ensemble glissant peu à peu vers un univers « pop » sous-tendu par une percussion idoine. Un dialogue rituel de voix masculines accompagné de cordes pincées évoque une lutte. À la voix de la mère du compositeur lisant un poème d’Eichendorff se superpose un chant de cordes dont le lyrisme forme un subtil écho au chant qui, nous dit le texte, « dort dans toutes les choses ». Partout, les résonances s’installent – un peu longuement dans certaines sections –, appelant des combinaisons sonores d’une infinie variété, un univers sans cesse mouvant. En émergent quelques repères, une gamme par tons, le chromatisme d’un mode oriental ou, « lorsque les mots ont disparu » (Samuel Beckett), une tonalité qui s’installe pour achever le dernier chapitre.

on: A House of Call (Composition for Orchestra)